Histoire de "ETA SA Manufacture Horlogère Suisse"
Introduction sur l'entreprise ETA
Dans chacune de mes revues, je fais référence aux caractéristiques du mouvement emboité au sein de la montre. C'est un élément très important, car c'est lui qui détermine les performances et la précision de la montre. C'est aussi souvent la raison du prix élevé de certains modèles. Il a un impact direct sur la notoriété et le prestige de la montre.
Comme je n’avais pas rédigé d’articles sur l’histoire d’une marque depuis longtemps, je me suis dit qu’il était temps de présenter non pas un fabricant de montres, mais un constructeur de calibres que l’on retrouve sur de nombreux modèles : ETA
La rédaction ci-dessous est en grande partie une synthèse de ce que j’ai pu apprendre en parcourant les articles suivants (que je vous invite à lire):
• https://en.wikipedia.org/wiki/ETA_SA
• https://journal.hautehorlogerie.org/fr/george-clooney-ses-montres-ses-motos-ses-amours/
• http://lepetitpoussoir.fr/chroniques/eta-histoire-de-la-plus-grande-manufacture-de-mouvements-suisses
• http://fr.worldtempus.com/article/industrie-news/economie/fabricant-de-mouvements-eta-cest-quoi--24361.html
• https://www.montres-passion.fr/mouvements-de-montres-eta-swatch-group.html/
• https://www.lematin.ch/story/eta-ne-pourra-plus-livrer-de-mouvements-a-des-tiers-795780117982
• https://www.kronos360.com/fr/blog/154-eta-le-leader-de-la-creation-de-mouvements-horlogers-.html
• https://www.horlogerie-suisse.com/horlomag/articles-horlogers/00225/aux-origines-du-swiss-made-horloger-1934-1971
Lorsqu’on s’intéresse un minimum à l’horlogerie et plus particulièrement au marché de la montre, ce nom revient régulièrement : « ETA » (qu’il faut prononcer « éta » à priori)
Ce sigle fait référence à la Société anonyme de droit suisse « ETA SA Manufacture Horlogère Suisse ».
Les trois lettres signifient « Elegance, Technology, Accuracy » (soit Élégance, Technologie, Précision).
Si l’entreprise ne parle pas forcément au grand public, sa maison mère est connue de beaucoup de monde puisqu’il s’agit du « Swatch Group ».
Notez la notion de « Group » car derrière « Swatch » se cache bien plus que l’une des marques de montres les plus connues au monde…mais c’est une autre histoire. Sachez simplement que le « Swatch Group » rassemble beaucoup d’entités comme « Tissot », « Hamilton », « Omega »… et qu’ils exploitent des calibres fabriqués par… ETA
Vous l’aurez sans doute compris, la « ETA SA Manufacture Horlogère Suisse » est, en résumant, la branche mouvements du groupe Swatch qui conçoit et vend des calibres de montres aussi bien quartz, que mécaniques (dont des automatiques). Ces derniers sont avant tout destinés aux marques du groupe auquelles elle appartient, mais pas seulement, car une partie de sa production est revendue à des marques tierces.
Pour comprendre comment ce géant de l’horlogerie est naît, il est nécessaire de se pencher un petit peu sur ce qui constitue une montre. Ce qui suit est bien entendu à placer dans le contexte du marché horloger suisse.
Une montre : un objet pas si simple à fabriquer
On n’y fait pas forcément attention, mais une montre se compose d’une multitude de pièces. Le nombre de composants varie d’un type de montre à une autre, mais on peut atteindre facilement plus d’une centaine d’éléments, et encore plus quand il s’agit d’une montre mécanique, incluant les automatiques.
Il n’y a pas que les pièces liées au mouvement, mais aussi le boîtier, les aiguilles, le cadran, la lunette… toutes ne sont pas fabriquées par la même entreprise et certaines peuvent nécessiter un très haut niveau de spécialisation notamment à cause d’outillage très spécifique et/ou le travail de matériaux particuliers. Un simple calibre mécanique nécessite des vis, un balancier, un spiral, des ressorts…
Dans les années 1900, la conception d’une montre pouvait occuper des centaines d’artisans et faire appel à plusieurs microstructures pour créer tous les composants nécessaires.
Voici un petit schéma en provenance du site www.horlogerie-suisse.com qui donne une vision de la chaine de production d'une montre.
Certaines entreprises proposent des ébauches, soit l'ensemble des pièces non assemblées du mouvement sans leurs organes régulateurs. Cet « éparpillement » ne facilite par la vie des horlogers lors des périodes de crise, obligeant ces derniers à vendre à l’étranger des pièces détachées pour permettre à des entreprises concurrentes non suisses de monter des montres. On n’appelle cela le chablonnage. Ce « trafic » est très mal vu des quelques manufactures de l’époque qui voient cela comme de la concurrence déloyale.
Naissance des regroupements horlogers
Une stratégie émerge sous l’impulsion de La « Fédération Suisse des Associations de Fabricants d’Horlogerie » créée en 1924. Unifier et rassembler des entreprises au sein de groupes spécialisés.
Pour lutter contre les crises des années 20 qui entrainent la chute de prix, de gros invendus et un chômage important, plusieurs regroupements vont apparaître dès 1926 comme l’ « Union des Branches annexes de l’Horlogerie », et « Ebauches SA ». Cette dernière rassemble les principaux fournisseurs d’ébauche de l’époque soit environ 75% de la production.
Les objectifs de cette structure sont de s’inspirer de ce qui se fait déjà dans d’autres secteurs industriels, à savoir réaliser des accords de prix et des interdictions communes comme le chablonnage.
Mais tout le monde n’est pas d’accord pour s’intégrer à ces nouveaux organismes et préfère rester indépendant faisant fi des accords mis en œuvre et des règles établies. L’apparition de « Ébauche SA » n’empêchera pas le secteur d’être touché de plein fouet par la crise de 1929.
En 1930, le tableau n’est pas fameux. L’horlogerie suisse est en grandes difficultés et beaucoup d’horlogers se retrouvent aux chômages. Mais on persiste à croire que la stratégie de regroupement est une bonne idée, elle doit juste être renforcée et toucher encore plus d’acteurs et avoir le soutien des banques.
Cela abouti à la création en 1931 à la « Société Générale de l’Horlogerie Suisse », plus connue sous le nom d’ "Allgemeine Schweizerische Uhrenindustrie" soit ASUAG ». Celle-ci va intégrer « Ébauche SA » pour devenir une sorte de super Holding regroupant et contrôlant tout un ensemble de structures dédiées à l’horlogerie, notamment la fabrique d’ébauches.
Origine de ETA
Beaucoup d’entreprises rejoignent l’union « ASUAG/Ébauche SA » dont « ETA SA » en 1932. Celle-ci trouve ses origines dans la scission au sein de la marque « Eterna » de sa branche en charge de la création de montres finies et sa branche conceptrice d’ébauche (renommé ETA).
La « Confédération suisse » va énormément appuyer l’union « ASUAG/Ébauche SA » et donc « ETA », en injectant de l’argent et en introduisant des arrêtés visant à empêcher la création de nouvelles entreprises sans autorisation et à réguler les exports. Les quelques « résistants » qui ne rejoignent pas l’ASUAG voient leur activité fortement impactée par ces restrictions, ce qui implique que beaucoup d’entre eux finiront par être absorbés par la holding.
Les fabricants d’ébauches ne sont pas les seuls à s’organiser, les manufactures également se sont regroupées au sein de la « Société Suisse pour l’Industrie Horlogère » soit « SSIH » dans laquelle on retrouvait des marques comme « Omega » ou « Tissot » (appelé à cette époque « Tissot et fils »)
De regroupement en regroupement, d’absorption en absorption, l’industrie horlogère suisse va connaitre une forte croissance jusque dans les années 60. Mais la concurrence, notamment Japonaise va rendre les choses moins faciles que prévues. La Suisse compte encor plus de 3000 structures en lien avec l’horlogerie dont beaucoup ne dépasse pas la vingtaine de salarié, ce qui rend la bataille difficile face à des géants industriels comme Seiko ou Timex (États-Unis)
Pour tenter de contrer la concurrence, les fusions se poursuivent pour renforcer la force de frappe et industrialiser les chaines de production.
Au début des années 80, la situation n’est pas simple et il est décidé de fusionner toutes les fabriques d’ébauches de la holding ASUAG/Ébauche SA sous le sigle « ETA ». C’est à cette période que des noms comme Unitas, ou Valjoux se retrouvent sous la direction d’ « ETA »
Du côté de la SSIH, les banques s’inquiètent et font appel à un consultant extérieur pour redresser la barre : Hayek Engineering. Cela va aboutir à la réunion de ASUAG/ébauche SA et SSIH entre 1983 et 84 pour donner naissance à la « Société Suisse de Microélectronique et d’horlogerie (SMH) » dont le secteur mouvements et composants est confié à « ETA »
ETA et le Swatch Group
Cette nouvelle structure va pouvoir s’appuyer sur la puissance industrielle et le savoir-faire d’ « ETA » qui avait débuté depuis plusieurs années la création de mouvement quartz pour contrer les montres "bon marché" venues de l’étranger. Cette union va donner naissance à la fameuse montre « Swatch »
Ce succès sera tellement énorme qu’il sera en grande partie responsable du sauvetage de toute l’industrie horlogère suisse, jusqu’à provoquer le renommage de la « SMH » en « Swatch Group » dès 1998, ETA restant le secteur mouvement et composants du géant horloger.
Vous l’aurez sans doute compris, l’histoire de Swatch et ETA sont intimement liées.
Résumé de l'histoire d'ETA
Pour résumé voici une frise chronologique (en anglais) réalisée par le site ablogtowatch qui retrace l’histoire dans laquelle ETA s’intègre.
ETA est donc née de plusieurs regroupements de sociétés d’ébauches à travers plusieurs décennies qui lui ont permis d’absorber le savoir-faire et les compétences de nombreuses entreprises pour devenir le leader mondial dans la conception de calibre.
Les calibres ETA
Leurs mouvements sont devenus de véritables standards comme le "2824-2" pour les montres automatiques
Ou le Valjoux 7750 pour les chronographes
ou l’unitas 6497 pour un remontage manuel
ou encore plus récemment le "sistem51" intégré à la gamme de montre automatique de Swatch dont vous pouvez retrouver une revue ici
Proposant différents niveaux de finitions, ETA est capable d’adapter sa production à la demande de ses clients, luis permettant de couvrir aussi bien l’entrée de gamme que le très de haute gamme.
ETA : une question de monopole
Même si certaines de leurs réalisations sont tombées dans le domaine public, autorisant d’autres structures à réaliser des calibres équivalents, ETA avec ses plus de 6000 employés et ses multiples sites de production dispose d’une telle force de frappe qu’elle reste sur une position dominante.
Cette situation de quasi-monopole a fini par poser problème et en 2013 un accord entre le Swatch group et la Commission de la concurrence (Comco) a obligé ETA à réduire progressivement sa quantité de mouvement à destination des structures externes au swatch group, afin de favoriser l’émergence de concurrents suisse.
Il était même prévu qu’en 2020, la totalité des mouvements d’ETA soit réservée au "Swatch Group", ce qui a quelque peu fait augmenter les prix vers le haut des emboiteurs qui disposaient jusqu’à présent de mouvements issus du mastodonte suisse. Finalement, la Comco a prolongé l’autorisation pour ETA de continuer à fournir des tiers, estimant que le marché avait pu connaître de nouveaux acteurs. En effet des sociétés comme Sellita ont pu étendre leur production et prendre quelque part de marché à ETA. Ce qu’il est important de noter c’est que pour la plupart de ces mouvements alternatifs, ils restent basés sur des ébauches ETA. Cela favorise le travail des horlogers qui peuvent ainsi bénéficier d’un ensemble de pièces standardisées d’une marque à une autre.
ETA continue cependant aujourd’hui d’être un leader incontesté des calibres de montres. On estime en 2019 à pratiquement 60% la part de marche d’ETA dans la fabrication de mouvements suisse (le fameux Swiss made).
Au final, la concurrence d’ETA n’est pas suisse, mais surtout Japonaise (Seiko/Myota/Orient) et Chinoise (Sea-Gull)
ETA demeure un géant de l’industrie horlogère qui continue d’être un marqueur de qualité tant leurs mouvements ont gagné leur lettre de noblesse au point d’être devenus de véritable standard de l’horlogerie.
Certains en ont beaucoup voulu au marché horloger Suisse d’avoir pratiqué un auto-protectionnisme de leur industrie. Mais même si elle n’a pas fonctionné tout de suite, on ne peut pas dire que la stratégie déployée de regroupement et de contrôle de l’horlogerie suisse par des holdings n’a pas fonctionné. ETA ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans ces nombreuses fusions et absorptions, même si cela a provoqué un certain monopole de cette dernière dans la réalisation de calibres suisse.
Les mouvements ETA ne sont pas les seuls à être pertinents, bien d’autres firmes proposent d’excellents moteurs pour alimenter nos montres, mais vous prendrez toujours peu de risque à retenir une montre qui en est équipé hormis payer sans doute un peu plus..."swiss made" oblige :)